
Melker Bent-Inge Garay , est un écrivain né en 1966 au Chili, d’un père suédois et d’une mère chilienne. En 1970, peu avant la Révolution chilienne, la famille est venue s’installer en Suède dans la ville de Norrköping. Melker Garay y vit aujourd'hui avec sa famille. Il a poursuivi des études universitaires approfondies en sciences humaines et sociales.
Dans ses livres, Garay traite des questions philosophiques, théologiques et existentielles. Son premier roman, Kyrkvaktmästarens hemliga antecknngar [Les notes secrètes du bedeau] a été traduit en plusieurs langues.
En 2009, il est élu membre de l'Association suédoise des auteurs, en 2012 du PEN Club suédois et en 2014 de l'Association chilienne des auteurs. Il est également peintre et cofondateur du magazine culturel en ligne « Opulens », lancé en 2017.
« Il écrit ce que beaucoup n'osent même pas penser. »
Portrait de l'auteur par Clemens Altgård dans le journal suédois Skånska Dagbladet.
Il écrit ce que beaucoup n’osent même pas penser.
Clemens Altgård
Récemment, un livre conceptuel mystérieux portant le titre « mcv » est paru. Il s’avère que le livre ne contient que ces trois lettres, répétées au travers des 410 pages qui le constituent. Un petit livret l’accompagne, dans lequel est expliqué que ce livre étrange a été créé par l’écrivain suédois Melker Garay. Pour ceux, comme moi, qui ont lu les autres livres de Garay, cela peut paraître un peu étonnant. Ou peut-être pas. L’œuvre littéraire de Garay se distingue par son intérêt pour les idées et pour la philosophie.
Ses débuts littéraires remontent à 2008, avec la sortie de Les notes secrètes du bedeau. Son recueil de nouvelles Råttan [Le rat] a suscité une attention bien méritée l’an dernier. Un trait constant dans chaque livre est la présence continue de l’idée de base.
Dans mcv, Garay établit un lien direct avec « Bibliothèque de Babel », la célèbre nouvelle de Jorge Luis Borges, dans laquelle est décrite une bibliothèque interminable et chaotique, contenant un tel livre.
Lorsque Melker Garay est venu séjourner à Malmö il y a quelque temps, j’en ai profité pour le rencontrer et échanger autour de l’écriture et de la littérature. Son œuvre comprend à ce jour six livres, et un septième est à venir.
Melker Garay explique qu’il est né au Chili, mais que ses parents se sont installés en Suède quelques années avant le coup d’état de Pinochet en 1973. Toutefois, ses liens avec le Chili se sont maintenus.
Garay traite de sujets lourds et difficiles, tels que la mort et les grandes questions métaphysiques. Quel est son moteur ?
« Ma mère avait des difficultés à s’intégrer dans la société suédoise. Mon père, lui, semblait satisfait dans sa vie, mais ma mère me paraissait malheureuse. J’ai quelque chose en moi, qui demeure avec le temps. Même si tout va bien dans ma vie, je ne peux ignorer les côtés obscurs de l’existence. »
Les côtés obscurs sont en effet un sorte de thème dans le recueil de nouvelles Råttan [Le rat], qui par ailleurs porte le sous-titre « och andra onda berättelser » [« et d’autres histoires maléfiques »]. Je suis un peu étonné lorsque Melker Garay m’explique qu’il a écrit la nouvelle effrayante « Mamman » [« La maman »] dans un environnement très joyeux. C’est l’histoire déchirante d’une relation dysfonctionnelle entre une mère et sa fille, caractérisée par la dépendance à la drogue de la mère.
« Cela illustre bien comment je fonctionne. Je me trouvais dans un endroit festif et tout le monde autour de moi s’amusait. Tout d’un coup, cette histoire m’est venue et j’ai eu l’idée d’écrire cette nouvelle. »
Il semble que les histoires et les motifs sous-jacents viennent à lui pour être racontés. Ce qui suppose également un intérêt pour les coulisses de la société. D’où notre discussion autour de la critique sociale qui se trouve dans le livre intitulé Råttan [Le rat].
« Je suis profondément touché et dérangé par les injustices sociales », explique Melker, qui se décrit comme une personne ayant bénéficié d’une ascension sociale. C’est pour cela qu’il accorde une grande valeur à l’enseignement universitaire et qu’il insiste sur l’importance de la possibilité pour chacun, quelles que soient ses origines sociales, d’accéder à l’Université.
« Les écarts sociaux se creusent. Je suis parti de très loin et je voudrais que la possibilité de l’ascension sociale s’offre également aux autres. Ainsi, ma colère contre les tendances actuelles de notre société est un de mes moteurs. »
Pourtant, je ne considère pas Melker Garay comme un écrivain qui aurait avant tout un registre politique, en tout cas pas au sens classique du terme. On dirait pourtant qu’il ne cesse de réfléchir, voire qu’il s’obstine. Que pense-t-il de ce qui constitue le moteur de son travail ?
« Je pose la question : Être un humain, c’est quoi ? J’écris les livres que je dois écrire. C’est contraire à ma personnalité de m’adapter aux demandes du marché. »
Lorsque je lui demande de citer quelques-uns de ses modèles sur le plan littéraire, la réponse coule de source :
« Per Lagerkvist, Stig Dagerman et Ernest Hemingway. »
La réponse ne m’étonne guère. Dans l’œuvre de Garay, l’expression linguistique est limpide, ce qui pourrait être considéré comme le plus petit dénominateur commun des auteurs qu’il vient d’évoquer. Un tel langage permet aussi de toucher un grand nombre de lecteurs.
Avant que l’on se dise au revoir, Melker Garay me lit un texte qu’il vient d’écrire. Un perroquet, derrière ses barreaux, étudie les humains à l’extérieur. Les humains se croient libres, mais est-ce vrai ? Melker Garay continue à écrire ce que beaucoup n’osent même pas penser, sans l’ombre d’un compromis.
« Dieu se trouve au-delà du Dieu. »
Guido Zeccola, à propos de Melker Garay, dans le journal suédois Kulturen.
Melker Garay. Dieu se trouve au-delà du Dieu
Guido Zeccola
Melker Garay est un auteur à facettes multiples qui a souvent collaboré avec le journal suédois Tidningen Kulturen. Au travers de ses histoires philosophiques et de ses recueils de nouvelles plébiscités, Melker Garay, né au Chili en 1966 et vivant à Norrköping depuis ses 4 ans, nous montre un large spectre de possibilités narratives très originales. Il a récemment publié un nouveau livre Fågelskrämman – skymningsnoveller, également sorti en livre audio, lu par l’acteur Krister Henriksson.
Melker Garay ne portait pas ce nom lors de la publication de ses deux premiers romans Les notes secrètes du bedeau et Josef Kinski och döden. Il s’appelait alors Bent-Inge Garay. Au départ, il s’appelait Bent-Inge Garay Johansson, et il aurait pu garder ce nom, mais cette identité a commencé à lui poser problème. Le nom ne disait rien de ses origines d’Amérique latine, et lorsqu’il a publié ses livres en espagnol, son public avait des difficultés à prononcer son prénom Bent-Inge. Alors, il est devenu Melker Garay. Melker, c’est suédois. Garay, chilien.
Ses précédents romans contiennent des réflexions fascinantes sur Dieu et sur la Mort. L’auteur ne sera probablement jamais complètement libéré de ces pensées, comme si c’était effectivement souhaitable. Ces idées ont toujours été présentes dans son œuvre, et aussi dans le recueil de nouvelles Fågelskrämman. Cela est très atypique dans une société aussi sécularisée que la Suède. Les origines de Garay, avec une grand-mère catholique en premier plan, y sont sûrement pour quelque chose. En même temps, je me souviens d’une conversation que j’ai eue avec lui, où il a avancé l’idée qu’il était un « enfant terrible » au sein de sa propre famille. Dieu est une sorte d’expérience et une pensée qui depuis a été articulée.
Mais cela ne veut en rien dire que Melker Garay est un croyant aveugle, bien au contraire. Ses livres témoignent d’un auteur qui n’est pas un athée, mais peut-être un agnostique un peu agité. Il ne cesse de poser des questions et de chercher des réponses. Non, Melker Garay ne partage pas avec Nietzsche la certitude que Dieu est mort, mais il ne peut pas non plus dire que Dieu est bien vivant.
Ces questions reviennent toujours, souvent sous forme de dialogues, comme dans le livre étrange « Dialogen ». Il s’agit d’un genre d’herméneutique, plus philosophique que théologique. Cela est en fait quelque chose de récurrent dans l’œuvre de Garay : de nombreuses questions, de rares réponses.
Melker Garay se distingue par son tempérament intellectuel, sa curiosité honnête et son humilité. Il est conscient de l’importance de l’échange avec les autres. Sans conversation, sans dialogue, l’autre demeure un étranger et rien n’est possible. Rien n’avance. Il appartient au lecteur de juger si Garay réussit à trouver des réponses au travers de ses textes. Lui, il écrit, simplement parce qu’il en ressent le besoin. Si cela a une influence négative ou positive sur sa manière de raconter des histoires ou sur son langage littéraire, c’est à nous, ses lecteurs, d’en juger.
Dans aucun des livres de Garay n’existe une vérité absolue. Il ne dira jamais « Voilà la vérité », car à qui appartient la vérité ? Il peut simplement témoigner de la vérité qu’il cherche, lui. Peut-être Garay est-il conscient que toute chose n’est autre qu’une rencontre avec le passé, avec ce qui a déjà été pensé et dit, ce que l’on connaît, la tradition, le souvenir. Tout cela permet une nouvelle manière de penser, un nouveau mot.
Mais cette illustration est également une expérience vivante qui considère l’inspiration, l’improvisation, l’amour et le mal comme des moments fondamentaux dans un processus. Et ce processus est la création. Pour que la vie ait un nouveau sens. Tout cela peut ressembler à une lutte, une illusion, une danse à la limite des ruines, mais cela lui donne aussi la possibilité d’écouter les pensées dans leur devenir et dans leur présence agréable.
L’auteur a également écrit un recueil d’aphorismes, Inskriptioner i skymningen. Le livre se compose de réflexions à méditer. Il est brillamment illustré par Ulf Lundkvist, illustrateur, peintre et créateur de bandes dessinées suédois, également originaire de la ville de Norrköping. D’où vient ce besoin d’écrire des réflexions courtes ?
Peut-être que cela s’explique par le fait que l’auteur est curieux de tout et ne peut s’arrêter dans sa recherche de nouvelles formes pour faire évoluer ses réflexions et ses écrits. L’aphorisme est l’une de ses formes, rien d’autre. Garay ne veut pas être catalogué. Parfois, il doit être ironique, satirique et utiliser l’humour, probablement pour créer une dynamique, une variation de ce qui est sérieux et souvent carré.
Également dans l’ouvrage précédemment cité, Dialogen, Garay essaye d’approcher Dieu, où l’absurde. La citation qui ouvre son premier roman, Les notes secrètes du bedeau, vient de Tertullianus « Credo quia absurdum » (« Je [le] crois parce que c’est absurde »). Les pôles opposés de pouvoir et de séduction, Dieu et le Néant, tout comme les positions changeantes de prise de pouvoir et soumission, engagent également le spectateur, le lecteur. Quelque part il semble qu’il ne puisse s’empêcher de s’interroger sur ce qui se serait passé si seulement il s’était contenté de se défendre, de défendre sa croyance, ou éventuellement son absence de croyance, ses propres expériences et théories sur la vie. Ce qui n’est pas si absurde puisque nous avons affaire à un penseur.
Est-ce que l’auteur aurait pu prendre un autre chemin ? Il est évident que Garay est quelqu’un qui aime entrer dans des questionnements difficiles, mais qui n’hésite pas également à s’éloigner de son manuscrit pour chercher l’inconnu en dehors de lui-même, ce qui définit l’être humain, les conditions de vie.
Soudainement, quelque chose s’est passé, qui signifie peut-être une révolution dans l’œuvre littéraire et la vie de Garay. Il publie Råttan, un recueil d’histoires courtes, et au travers de ce livre quelque chose de nouveau paraît chez lui. Le livre a été l’objet d’une grande attention, de la part des critiques et des lecteurs, y compris Kristian Lundberg et Lena Köster, et les critiques sont d’accord sur le fait que Garay est quelqu’un d’intéressant, un nouvel écrivain, traduit en plusieurs langues.
Si on l’interroge, il confirme que c’est probablement vrai. Il a été reconnu en tant qu’écrivain d’une nouvelle façon. Mais si certains auteurs se détachent de leurs livres précédents lorsqu’un nouveau rencontre le succès, Garay ne le fait pas. Råttan n’est rien d’autre qu’un pas de plus sur un chemin créatif continu, bien loin d’un objectif. Les autres livres comptent toujours autant pour lui.
On peut distinguer un fil rouge entre le recueil de nouvelles Råttan et les livres qui traitent des questions existentielles. Sans les œuvres précédentes, Garay n’aurait pu écrire ces histoires. Ni le langage ni le contenu ne distinguent réellement Råttan de ses œuvres précédentes, mais dans Råttan il a mieux su trouver son style, mieux cerner l’essentiel. Supprimer plus qu’ajouter. Il s’est éloigné de son style académique et a montré une plus grande distance aux choses que précédemment.
Après Råttan, un livre pour le moins étrange a été publié par Garay. Il porte le titre mcv. Il se compose de 410 pages où les mêmes trois lettres, mcv, se répètent du début à la fin. Je me rappelle que Crister Enander, qui auparavant avait loué Les notes secrètes du bedeau a été furieux lors de la sortie de mcv.
La vérité, c’est que Garay apprécie beaucoup Jorge Luis Borges. Il a lu la nouvelle Bibliothèque à Babel, où l’auteur argentin parle du père du narrateur, qui dans une bibliothèque infinie a trouvé un livre comprenant seulement le mot mcv. En lisant cette nouvelle, Garay a soudain été investi par l’idée de sortir ce livre de l’imaginaire et de le faire entrer dans la réalité physique.
Peut-être devons-nous également dire que Garay a publié un court essai sur son site où il partage ses pensées autour du livre mcv, qui peut être considéré comme une œuvre d’art conceptuel. Garay pense, comme d’autres penseurs, que Borges en quelque sorte prédit Internet, qui n’est en fait rien d’autre qu’une énorme bibliothèque virtuelle. Il y a des possibilités infinies d’éducation, ce qui pour lui compte énormément. Sans l’éducation, nous ne pouvons avoir des conversations ayant du sens. Sans les innombrables corollaires rendus possibles par Internet, une partie non négligeable de notre savoir ne serait pas possible.
Avant de brièvement présenter le dernier ouvrage de Garay, Fågelskrämman, je voudrais réfléchir à des possibilités d’influences sur son œuvre littéraire. Il dit lui-même être curieux de tous les écrivains, mais peut-être particulièrement de Pär Lagerkvist, Stig Dagerman, Lars Ahlin, Julio Cortázar, Horacio Quiroga, Inger Edelfeldt, Anna-Karin Palm et Tove Jansson. Garay apprécie également Vilhelm Moberg et sa saga des émigrants. Des histoires différentes qui se croisent au sein d’un même livre, ce livre étant encore aujourd’hui d’une grande actualité. Dans son œuvre, on trouve également des influences de Virginia Woolf, Flannery O’Connor et Clarice Lispector, toutes des nouvellistes significatives.
Comme dit précédemment, Garay vient de publier le roman Fågelskrämman, qui décrit les côtés obscurs chez l’homme. Ce livre peut être considéré comme une suite à Råttan, mais il est plus marqué par les aspects plus sombres de nos vies, ce dont on ne parle pas volontiers.
Lorsqu’une personne considère le monde et qu’il lui semble que son reflet est léger et indolore, comme lors d’une belle journée de printemps, alors, elle peut se laisser aller à une joie simple. Les grandes choses disparaissent.
Elle vit sa vie normale, elle suit les règles, elle a sa croyance, elle fait son travail, mais SOUDAIN quelque chose se passe, qui la rejette hors de tout ce qu’elle pensait être la réalité.
Elle ne peut plus défendre ses valeurs, ses convictions et ses promesses. Au contraire, elle se retrouve isolée, elle a peur, une force plus grande qu’elle la rejette au loin. C’est quelque chose de sombre, mais pas forcément négatif.
Le noir, le mal, est là, menaçant dans l’obscurité. Néanmoins, il y a toujours quelque chose qui remet en question ce qu’elle est devenue, mais qui lui permet de continuer d’avancer.
Garay a écrit un livre étrange, et les larmes me montent aux yeux quand je le lis. Nous voici devant un auteur qui, malgré son humilité, n’a plus grand-chose à apprendre sur la langue et le style. Il compte déjà parmi les auteurs les plus intéressants de Suède.
« Melker est le voisin du Dieu. »
Reportage de Magnus Sjöholm dans le journal suédois Norrköpings Tidningar.
Melker est le voisin du Dieu.
Magnus Sjöholm
Melker Garay, au départ enfant solitaire, puis marqué par un complexe d’éducation, a créé un site de rencontre, l’a vendu et s’est retrouvé financièrement indépendant. À 45 ans, tout était possible et il s’est lancé comme écrivain, à Norrköping.
Une fois notre rendez-vous fixé, je me rends à la bibliothèque municipale de Norrköping pour me renseigner à son sujet. L’auteur est un outsider dans le monde littéraire suédois. Il se moque des maisons d’édition, des ventes et des médias. Il n’a même pas besoin des lecteurs. Les auteurs de critiques littéraires, en revanche, sont importants. Surtout s’ils sont bienveillants. Quelques-uns des critiques littéraires suédois les plus connus et les plus difficiles à séduire, tels que Kristian Lundberg, ont aimé ses livres et les comparent à Kafka et Pär Lagerkvist. En parallèle, peu de grands quotidiens nationaux ont publié des critiques à son sujet. Autrement dit, une synthèse s’impose.
À la bibliothèque, trois de ses six ouvrages sont disponibles. Ils sont noirs, peu épais, joliment reliés et chaque couverture porte un merveilleux dessin d’Ulf Lundkvist. Les deux premiers, écrits sous le nom de Bent-Inge Garay, sont des romans courts, solennels, quasi philosophiques et rédigés dans un suédois facile d’accès. Or, ils traitent de Dieu, de la mort et de l’existentialisme. Le troisième titre, Dialog [Le dialogue], est intensément dramatique et emprunte sa forme aux livres pour enfants. Avant lui, Melker Garay a publié un recueil d’aphorismes. Ses deux ouvrages les plus récents sont d’une part un recueil de nouvelles courtes et humoristiques évoquant la souffrance et d’autre part le livre qui répète les lettres « mcv » environ 437 000 fois. Ajoutez à cela que Melker Garay a débuté en 2008 et vous constaterez que son œuvre est difficile à définir et pleine de contradictions.
Melker Garay me reçoit en chemise rose clair et en jean. Nous sommes dans son magnifique appartement, qui occupe tout un étage, et il nous sert du Nescafé et du Coca. Ma première question porte sur le changement de son prénom, de Bent-Inge en Melker ; un peu du sérieux de Bent-Inge n’aurait-il pas disparu lorsque l’alter ego un peu plus fantaisiste de Melker a été adopté ?
L’auteur a réponse à toute question, même si beaucoup de ses réponses se transforment en fait en d’autres questions. Un peu plus tard, il définit la conversation comme un outil intellectuel et avance que les réponses sont en fait peu intéressantes. Ce sont les questions qui comptent. Melker, c’est bien son seul prénom aujourd’hui, est une personne qui suscite des questions.
« Lorsque mes œuvres ont été publiées à l’étranger, nous explique-t-il, Bent-Inge était trop compliqué. Alors, j’ai choisi d’utiliser mon deuxième prénom. »
Dans l’appartement, les icônes et reliques littéraires sont légion. Chaque mur est décoré d’art exclusif et, avec la fenêtre en guise de cadre, on aperçoit la maison de Dieu en face. Melker Garay a une relation proche avec ce dernier, marquée par la tradition, le respect, la résistance et beaucoup de curiosité. De son côté, Melker Garay laisse une impression de gentillesse, d’honnêteté et de curiosité. Alors, pourquoi ses livres sont-ils si mornes ?
« J’ai ressenti beaucoup de solitude. C’était une solitude choisie librement, une dictature des circonstances. Par exemple, j’allais à pied de notre maison de la banlieue de Hageby à la bibliothèque municipale juste pour lire, où bien je m’installais seul à l’étage de notre maison de la rue Egnahemsgatan pour lire. Ce n’était rien d’autre qu’une tentative de me comprendre, moi. »
Il est né au Chili en 1966 d’une mère chilienne, avant tout catholique, et d’un père suédois social-démocrate qui allait par la suite trouver un emploi dans l’entreprise forestière Holmen, à Norrköping. Quand Melker avait quatre ans, la famille, qui s’était agrandie et comptait maintenant aussi un petit-frère (Ingemar Johansson, qui se consacre aux arts-martiaux), a pris le bateau pour Genua, puis le train pour Norrköping en Suède. À Arkösund, petit village proche de la ville, ils se sont installés.
Le chemin vers le métier d’écrivain n’a pas été un long fleuve tranquille.
« Lorsque j’avais 15 ans, je ne savais pas quoi faire de ma vie. Mon père m’a conseillé de faire une formation technique pour ensuite trouver un emploi à Holmen, comme lui. J’ai suivi son conseil et j’ai fait deux ans de formation. Je n’étais pas à ma place. »
Il a ensuite étudié l’économie dans un institut de formation pour adultes, en vue d’une inscription à une formation diplômante en économie à l’université de Karlstad.
« Un des plus beaux moments de ma vie a été lorsque j’ai ouvert la boîte aux lettres et que j’y ai trouvé le courrier d’admission à l’université de Karlstad. J’avais un besoin profond de m’en aller, je me sentais différent et j’avais besoin de reconnaissance. Si je devais nommer une chose que j’apprécie en Suède et pour laquelle je suis reconnaissant, ce serait bien la possibilité d’ascension sociale pour n’importe qui. L’Université est ouverte à tous, quelles que soient vos origines. La formation et le sentiment d’être éduqué comptent beaucoup pour moi. »
Une fois son diplôme de sciences économiques en poche, il aurait dû chercher un emploi. Mais il a choisi de s’installer dans la ville universitaire d’Uppsala et d’étudier l’histoire de l’économie, puis la philosophie, pendant quatre ans.
« En 2005, mon ami Kjell Pettersson et moi avons commencé la création d’un site de rencontre : « e-kontakt.se ». Deux ans plus tard, c’était le site le plus important du pays dans son domaine et nous comptions 50 salariés à Norrköping. Alors, nous avons choisi d’externaliser. »
Pourquoi choisir la plume à ce moment-là ?
« Une réponse serait mon pathos social. Être un humain, c’est, d’une certaine manière, difficile. Je suis financièrement indépendant mais lorsque je marche dans la rue, je vois toute la misère qui existe. Pour se sentir bien, il faut pouvoir faire abstraction des choses difficiles, de la souffrance, par exemple en Syrie et en Grèce. Je trouve difficile d’accepter des injustices alors que nous avons les ressources nécessaires pour tout le monde. »
J’essaie de me faire une idée du contenu des nombreuses et énormes bibliothèques de la pièce où nous nous trouvons. C’est un sacré mélange certes, mais à dominante philosophique. Pas beaucoup de littérature étrangère, pas de titres espagnols. Je vois Stockholmsbilen de Stig Dagerman, cité par Melker Garay comme une de ses nombreuses expériences littéraires. Je lui demande d’en nommer d’autres, ainsi que des livres espagnols qui l’ont marqué, mais il élude la question.
« Lorsque l’on parle d’un écrivain, on veut toujours le catégoriser. Je ne veux pas, et je l’explique par mon côté ”enfant terrible”, car je suis tellement curieux, de tout. Oui, j’ai lu quasiment tout de Kafka, Lagerkvist et d’autres encore, mais je ne veux pas faire partie de cette catégorisation. Ce serait injuste, envers moi et le lecteur, mais, oui, les écrivains d’Amérique du Sud sont également importants. »
Il parle de son enfance, de sa mère Catalina qui lisait Pearl Buck et de son père Rune qui chantait les tubes d’Evert Taube en voiture. Pour expliquer son œuvre, il cite ses sources d’influence : Voltaire, le personnage Gusten dans Hemsöborna [Les gens de Hemsö] de Strindberg, Tourgueniev, Ingmar Hedenius, Ekerwald, le personnage Karl-Oskar dans Utvandrarna [La Saga des émigrants] de Vilhelm Moberg, Murakami, Knausgård, Borges et d’autres encore.
D’après ma lecture de son œuvre, je pense que c’est dans les nouvelles courtes, qu’il qualifie de symboliques, que Melker Garay a trouvé sa voie d’expression. Ce format lui permet de poser de nombreuses questions d’angles différents. Nous en parlons pendant un moment, puis finalisons cet entretien, plus que long, par un échange sur l’unicité du format littéraire de la nouvelle. Le prochain titre, qui sortira déjà au mois d’août, est également un recueil de nouvelles courtes.
« Borges dit à un moment donné qu’il ne comprend pas comment les écrivains réussissent à écrire des livres longs et épais alors que le noyau de l’histoire peut être raconté en deux minutes. J’y ai beaucoup pensé. Peut-être que plus tard, je retravaillerai ces nouvelles sous forme de romans, ce n’est pas impossible, mais aujourd’hui ces histoires symboliques me conviennent mieux. »
« Je suis conscient du fait que je suis privilégié à bien des égards, et je reste humble à ce sujet. Beaucoup d’écrivains luttent dans leur quotidien, c’est très difficile, mais j’ai une grande confiance en moi et mon travail. Je ne livre jamais un texte qui n’a pas été consciencieusement relu à plusieurs reprises. »
Son septième livre s’appelle Fågelskrämman – Skymningsnoveller. Il me hâte de lire les critiques, quel que soit leur lieu de publication.