Textes
Voici un échantillon de textes de Melker Garay publiés en 2015, notamment dans des journaux suédois et étrangers et dans les médias sociaux.
LORSQUE LA FOI DEVIENT VÉRITÉ
La foi, c’est ce que l’on croit, et rien d’autre : aussi grande soit-elle et aussi proche soit-elle du savoir. LIRE LA SUITE »
Quid de l’amour du prochain quand les articles de foi de toutes les religions deviennent des vérités ? N’est-ce pas terrible lorsque les croyances deviennent des vérités ? Toutes les prétentions religieuses de vérité contiennent une graine d’intolérance et de violence : elles peuvent amener une personne croyante à prendre une pierre dans sa main et la jeter sur celui qui n’a pas la bonne croyance.
Qui porte alors l’ultime responsabilité de toute la misère qui a été répandue au nom de la religion ? La réponse, c’est que ce sont les leadeurs religieux qui n’ont pas le courage de parler du besoin d’humilité devant les croyances différentes. Lorsque les prêtres, imams et rabbins laissent un mot sacré ou un sacrement devenir le seul principe directeur de morale, alors chacun d’eux, en se noyant dans sa conviction religieuse, oublie qu’il est impossible de mesurer la morale. La morale, c’est un dialogue entre deux personnes, c’est ce qui est censé faire le lien entre nous, ce sont les fondations de notre monde où nous pouvons vivre ensemble. Or, lorsque la morale devient unique, lorsqu’elle devient une vérité, alors nous avons créé le « nous » et « eux ». Et à la fin, nous jetons la pierre à celui qui n’a pas la bonne foi.
La foi, c’est ce que l’on croit, et rien d’autre : aussi grande qu’elle soit et si proche soit-elle du savoir. La foi ne peut jamais être du savoir. Car comment pourrait-on prouver une foi ? Comment serait-il possible pour deux personnes, douées de croyances diamétralement opposées, d’arriver à convaincre l’autre sur un sujet qui ne peut être ni mesuré ni pesé ? Qui pourrait, sans se faire violence, dire « j’ai la vérité sur Dieu et je sais lequel des textes sacrés est le plus sacré » ? Lorsque les leadeurs religieux oublient de clairement définir les limites de la foi, alors les textes sacrés et les sacrements deviennent plus importants que l’amour humain.
LA MACHINE
La machine a sa propre vie. Elle est forte et avance grâce à un DEVOIR que nous lui avons impulsé à l’origine. LIRE LA SUITE »
Au parc, quelques enfants jouent. Ils sautent, bougent leurs bras tels des moulins et j’entends leurs rires. Avant, je riais aussi. Mais c’était il y a bien longtemps. Tellement loin dans le temps que je m’en souviens à peine. Car, enfant, on entre dans la vie des adultes petit à petit, lentement. C’est un chemin à sens unique : de l’enfant à l’adulte, d’une imagination débordante à une sentence rigide, d’une innocence légère comme une plume à une expérience lourde de responsabilités. Oui, par où diable cette espèce d’imagination est-elle partie ?
Le rebelle en nous est dompté aussi. L’obéissance l’a remplacé. Nous essayons de protester, ce qui ne sert à rien. L’obéissance est la base, le noyau, dans cette machine incroyable que nous les hommes avons-nous-mêmes construite. Cette machine qui au départ était bienveillante et qui au fil du temps est devenu sacrée et inviolable. Mais qu’est-ce qui différencie les journées maintenant, alors que la routine est le prix que nous payons pour la maintenance de cette machine ? Et que se passera-t-il en nous lorsque nous nous poserons la question : Par où diable cette espèce de joie est-elle partie ?
Comment pourrions-nous garder une vision globale de cette machine, alors que nous devenons petit à petit quelque chose à dimension unique ? Comment pourrais-je suivre une pensée jusqu’au bout sans être dérangé par le bruit incessant de la machinerie ? Et comment mon Moi pourrait-il rester mon Moi lorsque la machine lentement pénètre en moi ? Car la machine grossit, elle grossit et elle grossit car elle veut mon bien… et que demain j’aille encore mieux. Mais à la fin, je hurle : Par où diable le sens de nos vies est-il parti ?
La machine a sa propre vie. Elle est forte et avance grâce au DEVOIR que nous lui avons un jour donné. Le prix d’achat doit baisser. La force de travail doit être réduite. Les marges de profit doivent augmenter. Les impôts doivent baisser. La privatisation doit s’élargir. La solidarité doit être redéfinie. L’amour doit être matérialisé. La vie doit être commercialisée. Et on doit faire taire celui qui hurle son « par où diable ».
CIEL NOCTURNE ÉTOILÉ
Et l’observation du ciel nocturne étoilé peut nous faire prendre conscience de nos vies, avec du recul, au-delà de tout ce que nous prenons pour acquis. LIRE LA SUITE »
Qu’un ciel noir parsemé d’étoiles puisse donner une impression de communauté même aux personnes dépourvues de toute imagination n’est peut-être rien d’autre qu’une preuve de notre envie à tous de trouver nos origines. Et quel que soit notre niveau d’intelligence, nous nous posons la question : D’où venons-nous ? Une question pour laquelle nous ne pourrons probablement jamais trouver une réponse satisfaisante, mais qui reste comme un appel pour continuer à chercher, pour que peut-être un jour nous nous trouvions, nous-mêmes.
L’observation d’un ciel nocturne étoilé peut nous faire prendre conscience de nos vies, avec du recul, au-delà de tout ce que nous tenons pour acquis. Oui, les questions nous saisissent comme si elles voulaient que nous les apercevions, comme si elles voulaient nous montrer que sans elles, nos vies se limiteraient à quelque chose de réduit, qui ne porterait jamais de fruit, quelque chose d’austère et de triste.
Du courage, voilà ce qu’il faut pour appréhender ces questions. Mais le courage est aussi ce qui nous manque le plus souvent. Car la face cachée de la volonté de comprendre, c’est la peur de perdre ce que nous pensons comprendre. Et perdre, personne ne le souhaite, quoique bien souvent, c’est en perdant quelque chose que nous gagnons autre chose.
DES GRANDEURS MÉTAPHYSIQUES
Quand un enfant meurt, le plus souvent, la raison se perd. LIRE LA SUITE »
Le diable a été radié. A cessé de fasciner. N’est plus souhaité. Placé dans le passé. Épuisé. Ne peut plus servir l’homme, puisque l’homme est désormais éclairé. Dieu, en revanche, a un sens. Au moins pour encore un bout de temps, selon certains.
Or, ces phrases qui viennent d’être écrites ne sont peut-être pas tout à fait vraies. Car n’avons-nous pas vu que l’homme, parfois, a besoin de ses antagonistes métaphysiques ? Et pour comprendre, n’a-t-il pas besoin ce que nous ne pouvons pas comprendre ? Et dites-moi, que se passe-t-il si la raison se met à employer la phrase « ce dont on ne peut parler, il faut le taire » ? Ce que la raison ne peut pas comprendre, ne resterait-il pas incompréhensible ? Ce qui impliquerait quoi, au juste ?
Quand un enfant meurt, le plus souvent, la raison se perd. La raison se tord les mains d’angoisse et abaisse son regard. Sans un mot, avec pour seul tenant son truisme. Et sous son silence, elle répète dans son for intérieur, comme si c’était un mantra, « ce dont on ne peut parler, il faut le taire ».
Beaucoup de choses doivent être tues, lorsque nous permettons à notre raison de gonfler. Car n’oublions pas qu’un acte impulsé par un amour infini sera toujours douteux. Pourquoi ? Parce que le langage proposé par la raison ne pourra jamais entièrement l’expliquer. Même les plus belles notes du violon seront considérées suspectes, puisqu’elles ne se prêtent pas à l’analyse faite à l’aide des pinces stériles de l’intellect. C’était comment déjà ?…. ce dont on ne peut parler, il faut le taire.
Certains avancent que Dieu et le Diable ne sont rien d’autre que des créatures de notre esprit. Ce qui est probablement le cas. Mais ce sont des créatures d’esprit grandioses qui donnent une forme à ce que nous, les hommes, depuis des millénaires n’avons pu comprendre. À des actes et des événements si grands et si tendres que nous étions incapables de les décrire ; à des actes et des événements si terribles que la raison a fini par s’effondrer devant eux.
Alors, tant que la raison emploie la phrase « ce dont on ne peut parler, il faut le taire », ce que la raison ne peut comprendre restera incompréhensible. Et devant ce que la raison ne peut décrire avec des mots, nous devrons nous contenter de ce qui est capable de rendre l’incompréhensible compréhensible. Ou, tout au moins, en discutant avec l’écrivain finlandais Willy Kyrklund, chercher la question à laquelle la vie humaine est une réponse.
LE PÈLERIN
Ne portons-nous tous pas un pèlerin à l’intérieur de nous ? LIRE LA SUITE »
Qu’est-ce qu’un pèlerin ? C’est quelqu’un qui marche vers un lieu sacré. Pourquoi souhaite-t-il se rendre dans un tel lieu ? Et est-ce que ce lieu est si important qu’il prétend ? Certains se posent la question de savoir si, en fin de compte, ce n’est pas la marche en tant que telle qui est sacrée ? Quels sont les effets de la marche sur nos pensées ? Les mouvements de notre corps ne sont-ils pas ce qui réveille les pensées dans notre esprit ? Chaque marche ne fait-elle pas aussi avancer notre réflexion ?
Aujourd’hui, je m’interroge : est-ce que le pèlerin existe toujours dans notre société moderne ? Où se rend-t-il pour donner à ses pensées de la force et de l’acuité ? Et quand trouve-t-il le temps pour marcher ? Peut-être que quelqu’un répondra que le pèlerin ne fait pas partie de notre époque. Que le pèlerin appartient au passé, à une époque où la superstition faisait en sorte que nos croyances se tournent vers des saints et des dieux. Oui, que le pèlerin appartient à une époque où l’ignorance et la niaiserie dominaient.
Je me demande si c’est vrai. Quel que soit le degré d’évolution d’une société, je pense qu’il y aura toujours une angoisse hors du temps en nous. Une angoisse qui trouve sa source dans le fait que quelque chose en nous est pour toujours insatisfait. Quelque chose qui ne se laisse pas convaincre par notre prétendue rationalité, par nos succès personnels remarquables ou par les colifichets qui envahissent notre quotidien si confortable.
Ne cachons-nous tous pas un pèlerin en nous ? Que nous le voulions ou pas ? Un pèlerin qui n’est pas dupe. Un pèlerin qui ne se laisse pas avoir par toutes les promesses. Un pèlerin qui veut savoir pourquoi nous portons en nous une angoisse. Oui, ce pèlerin qui n’arrive pas à comprendre pourquoi parfois nous nous sentons si terriblement seuls.
Mais, c’est comme si nous n’écoutions pas notre pèlerin intérieur. Et peut-être que cela s’explique par le fait que pèlerin, en latin, veut dire étranger. Nous écoutons plutôt les bruits de notre époque, des bruits qui nous rendent sourds, qui nous empêchent d’entendre la voix intérieure qui répète sa question : « Pendant combien de temps encore vas-tu chasser ce qui ne peut être chassé ? »
ON S’EN DOUTE, EN QUELQUE SORTE
Voyez-vous, j’ai un sentiment désagréable, comme si la vie en elle-même était arrogante. LIRE LA SUITE »
On s’en doute, en quelque sorte. Mais on s’empêche de suivre cette pensée jusqu’au bout, ce qui risquerait d’ouvrir notre esprit à ce dont on se doute. Peut-être s’agit-il de la peur ? Peut-être est-ce autre chose qui nous retiens d’approcher de ce dont on se doute ? « Mais de quoi vous doutez-vous ? », interrompt quelqu’un, faute de patience. Je vais essayer d’y répondre, bien que ce soit difficile.
Voyez-vous, j’ai un sentiment désagréable, comme si la vie en elle-même était arrogante. Laissez-moi expliquer. Je parle du sentiment de se sentir de trop, qu’une fois son devoir d’être humain réalisé, on n’est plus nécessaire. Comprenez-vous ? Non. Oui, ce n’est pas facile à expliquer, en tout cas pour moi.
Nous pensons que nous sommes significatifs. Importants. Et nous tenons beaucoup à montrer que tel est le cas. Nous le faisons de façons différentes. Nous montrons nos mérites. Nos titres. Nos ressources. Bien volontiers en plus ! Car, et je le répète, nous aimons montrer que nous sommes significatifs. Importants. Oui, nous tenons beaucoup à le montrer.
Mais c’est quoi au juste, qui est significatif ? Après tout, ce n’est pas nous, en tant qu’individus, qui sommes si remarquables. Nous sommes tous un parmi tant d’autres. Un, qui se pense si important. Mais sommes-nous réellement si importants ? Ce n’est pas si évident. Et voilà, on commence à se douter de ce que nous n’aimerions pas approcher.
Une fois, il y a bien longtemps, à Riga, j’ai rencontré une dame perspicace et courtoise. Elle m’a dit quelque chose qui m’a fortement marqué. Elle disait qu’au sens large, nous sommes tous insignifiants. Et elle m’a raconté qu’au moment où on a mis un enfant au monde, on a fait son devoir en tant qu’être humain.
Ces mots me sont revenus à maintes reprises. Je pense que ce qu’elle voulait dire, c’est que du point de vue de la nature, le devoir principal de chaque être humain, ou de chaque animal d’ailleurs, c’est de faire naître une nouvelle génération en bonne santé. Une fois que cette nouvelle génération est arrivée au monde, l’ancienne génération a accompli son devoir.
Voilà ce qu’elle a voulu me dire. Dans une perspective évolutive, le temps avançant, nous devenons superflus. Et voilà ce dont je me doute depuis longtemps. À un moment donné, nous ne sommes plus nécessaires. La question, c’est quand intervient ce moment donné ? Lorsque nous avons mis des enfants au monde, dirait la dame. Mais nous ne l’acceptons pas.
Nous ne sommes jamais superflus, disons-nous d’une voix haute et forte. Non ? J’ai, comme je le disais, peur que la vie en elle-même soit arrogante. C’est comme si elle nous laissait penser que nous sommes remarquables. Et significatifs. Peut-être même qu’elle observe notre manière de nous considérer si importants, un sourire indulgent aux lèvres. Mais nous ne sommes pas importants, en tout cas pas après avoir mis des enfants au monde.
Est-ce possible ? Peut-être. Peut-être pas. Néanmoins, on se doute de quelque chose. Voyez-vous, on se doute que peut-être c’est possible, justement. On se doute qu’il y a quelque chose qui cloche, dans toutes nos prétentions de notre importance. On se doute qu’au moment même où nous avons aidé la vie à continuer, notre propre existence est devenue dans l’ensemble tellement peu importante.